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Lunes rouges et rituels du sang

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On raconte que les femmes Papoues connaissent exactement le nombre total de fois qu’elles ont eu leurs règles dans leur vie. C’est qu’entre leurs ménarches tardives (aux environs des 17-18 ans), leurs différentes aménorrhées physiologiques, qu’elles soient liées à la grossesse ou à l’allaitement[1] et la non-disponibilité de méthodes de contraception artificielles, les règles se font rares. Et très souvent, le retour du flux menstruel est célébré comme le retour de la fertilité. Je me suis posé la question de savoir combien de fois j’avais saigné depuis mes toutes premières règles et après un calcul fastidieux, je suis parvenue au nombre plutôt approximatif de 380 « lunes rouges » (compter environ 100 lunes tous les huit années), ce qui est assez impressionnant. Pourquoi parler de « lunes » pour désigner le flux menstruel ? Ce n’est assurément pas par pudeur mais plutôt pour suggérer l’étroite corrélation entre les cycles menstruel et lunaire. En effet, il semblerait que les femmes qui vivent « à l’air libre », exposées à la clarté lunaire plutôt qu’à celle des néons citadins voient les périodicités lunaire et menstruel se synchroniser, les saignements intervenant au moment de la pleine lune ou de la nouvelle lune. Les anciennes mythologies associent presque toujours la lune aux femmes et au sang menstruel. Dans de nombreuses langues, les mots qui désignent les règles et la lune sont les mêmes. Le français « menstruation » (du latin « mens » et peut-être du grec « méné ») se rapporte au mois lunaire et au changement de lune. En mandigo, « cardo » signifie à la fois « lune » et « menstruations ». De même, pour le mot « njonde » au Congo. En maori, le mot en usage pour « menstruation » est « mata marame » et signifie également « indisposition de la lune ». Ces « lunes rouges », malheureusement, nous n’en sommes pas souvent très fières et cette attitude extrêmement négative face à ce qui constitue pourtant une puissante manifestation de notre féminité plonge ses racines dans des millénaires de tabous liés au sang menstruel considéré comme impur et d’ostracisme prononcé contre les femmes qui saignent, déterminant jusqu’à leur vécu physique (syndrome pré-menstruel) de cette expression du corps. Même si, aujourd’hui, les femmes sont libérées des tabous antiques grâce à la compréhension grandissante de la physiologie de la fertilité et de la reproduction, les règles demeurent une partie d’elles-mêmes à dissimuler et ignorer autant que possible. Grâce aux nouvelles pilules anticonceptionnelles qui suppriment le saignement périodique, les femmes peuvent même désormais vivre dans l’inconscience la plus complète de leur nature cyclique, dans sa négation pure et simple. Mais est-ce véritablement souhaitable de museler ainsi les expressions de son corps et d’en ignorer le langage qui offre pourtant de si cruciales informations ? N’y-a-t-il pas un moyen de se réconcilier avec nos « lunes », de les accueillir favorablement et d’en faire des moments de retraite propice au repos et à l’introspection ? Là encore, les rituels peuvent aider à passer le cap : une bougie rouge à allumer, un « sachet lunaire » composé de gemmes (pierre de lune, jaspe rouge, cornaline, hématite, obsidienne) et d’herbes odorantes (partenelle, sauge, alchemille, framboisier, camomille) à placer la nuit sous l’oreiller, du bois de rose à brûler, des fleurs de coquelicot à répandre dans votre foyer, un calendrier lunaire ou un « journal des lunes » à remplir,  une « boîte des lunes » contenant tout ce qui est nécessaire pour cette période à ouvrir, des mouvements de « luna yoga » à exécuter, un tissu rouge signifiant votre « indisposition », si vous avez besoin de tranquillité, à accrocher à la porte, une « tente rouge » à partager avec des amies, une perle à ajouter à votre « collier de lunes », une perle pour chaque cycle, que vous transmettrez peut-être à votre petite-fille, un poème à dire, un tatouage au henné à réaliser, un maquillage ou une tenue spéciale à arborer, les possibilités sont à décliner à l’envi. Ce qui compte est que cela contribue à votre bien-être et à faire de vos « lunes » (environ 400 occasions dans toute une vie de fêter votre féminité) un moment particulier d’intimité avec vous-même.

[1]Il est fréquent qu’un allaitement au long cours c’est-à-dire qui dure plusieurs années induise une longue période d’aménorrhée.